Alors que ce deuxième trimestre démarrait sous de bons auspices avec un rebond généralisé des marchés financiers, impulsé par l’éloignement du risque systémique, engendré par les tensions sur le secteur bancaire, l’embellie aura été de courte durée. En effet, le sujet du plafond de la dette américaine, quelques publications en demi-teinte et une inflation plus persistante que prévue ont finalement coupé la tendance haussière dans son élan. L’attention est finalement, une nouvelle fois, portée sur les politiques monétaires des banques centrales.
Vers une hétérogénéisation des politiques monétaires
Nous faisions déjà état, lors de notre dernière note trimestrielle, d’une disparité entre les différentes politiques monétaires des grandes banques centrales alors que ces dernières étaient alignées, il y a un an, dans leur lutte commune contre l’inflation. Nous constatons qu’après de nombreuses hausses de taux, aux quatre coins du monde, elles adoptent aujourd’hui, de façon plus marquée, des stratégies divergentes. Ainsi, bien qu’elles gardent toutes, à l’exception du Japon (BoJ) et de la Chine (PBoC), des politiques monétaires restrictives face à la menace inflationniste toujours omniprésente, elles ajustent désormais leurs décisions au regard des différentes données et statistiques macroéconomiques.
Ainsi, après une nouvelle hausse de taux de 0,25% en mai, portant la fourchette à [5%-5,25%], la Réserve Fédérale Américaine (FED) a pour la 1ère fois depuis 15 mois et 10 hausses consécutives, gardé ses taux inchangés à l’occasion de sa réunion de politique monétaire de juin. Bien que ce statu quo ait été voté à l’unanimité, les membres du FOMC (organe décisionnaire de la politique monétaire) sont majoritairement d’accord pour dire que cette pause n’est en rien synonyme de fin de cycle de resserrement monétaire. En effet, deux nouvelles hausses de taux de l’ordre de 0,25% seraient à attendre d’ici la fin d’année, ce qui porterait la fourchette finale à [5,50%-5,75%]. Cette pause permet ainsi de faire le point sur la diffusion des précédentes hausses de taux à l’inflation et à l’économie, mais aussi de prendre le temps d’apprécier les conséquences que pourrait entrainer la crise bancaire de mars dernier.
En zone euro, la BCE a opéré deux nouvelles hausses de taux en mai et juin de 0,25%, portant le taux de dépôt à 3,5%. Bien que le rythme ralentisse, du fait notamment de la plus faible dynamique du crédit bancaire, Christine Lagarde, la présidente de la BCE, continue d’insister sur le fait qu’il reste du chemin à parcourir et que le cycle de hausses des taux n’est pas terminé. A l’instar de ses dernières allocutions, Mme Lagarde a répété que les prochaines décisions dépendront des données (sur l’inflation totale et sous-jacente notamment) mais qu’en l’état actuel des choses, une nouvelle hausse des taux directeurs était à prévoir pour la réunion de juillet. En effet, « l’inflation ralentit, mais devrait rester trop forte pendant une trop longue période ». L’institution a d’ailleurs relevé ses prévisions d’inflation pour 2023, 2024 et 2025, jugeant que les éléments qui soutiennent la dynamique de l’inflation sous-jacente restent trop importants. Par ailleurs, début juillet marquera le début du resserrement monétaire total (QT ou Quantitative Tightening) : de mars à juin la BCE avait déjà commencé à ne plus réinvestir les titres de l’APP (programme d’achat d’actifs mis en place en 2014) arrivant à maturité (pour 15Mds€ de titres) ; c’est désormais la totalité des titres arrivant à maturité qui ne sera pas réinvestie (environ 27Mds€ par mois).
Ailleurs, la Banque d’Angleterre a, de son côté également, relevé de 0,25% ses taux à l’issue de sa réunion de mai et a indiqué qu’un statu quo pourrait être envisageable dans la mesure où l’inflation n’accélèrerait plus. A contrario, les Banques du Canada et de l’Australie ont toutes deux créé la surprise en remontant leurs taux de 0,25% alors que des statu quo étaient attendus. Les deux institutions ont, là encore, justifié leur décision par la persistance d’une inflation à des niveaux élevés.
A contre-courant, la PBoC (Chine) et la BoJ (Japon) continuent de garder le cap de leurs politiques monétaires accommodantes, la 1ère en continuant de renforcer son soutien à l’économie et la 2nde en maintenant sa politique inchangée.
Des indicateurs économiques qui marquent le pas après les chiffres encourageants du 1er trimestre
Si nous indiquions dans notre lettre précédente que les chiffres macro-économiques étaient résilients en début d’année, on constate aujourd’hui que les récentes publications semblent confirmer un ralentissement mondial de l’activité. Que ce soit des deux côtés de l’Atlantique ou en Chine, les indicateurs marquent le pas de manière généralisée. C’est particulièrement le cas des PMI qui ressortent dans l’ensemble en baisse et sont en grande partie affectés par la faiblesse de l’activité industrielle. A titre d’exemple, le PMI Manufacturier de la zone Euro s’est inscrit à 44,6, soit son niveau le plus bas depuis 3 ans. En parallèle, alors que les enquêtes confirmaient la bonne tenue de l’activité dans les services, avec des chiffres toujours en territoire d’expansion, elles montrent désormais des signes de fragilité et se rapprochent dangereusement du seuil symbolique des 50 (un chiffre inférieur à 50 fait état d’une contraction de l’activité tandis qu’un chiffre supérieur à 50 indique une activité en croissance). C’est notamment le cas de l’ISM américain qui continue de régresser pour la 13e fois (sur 18 mois) et s’inscrit à 50,3 en mai.
En zone Euro, la révision de la croissance du PIB pour le 1er trimestre 2023 est ainsi en ligne avec la détérioration des enquêtes et met en exergue une contraction de l’activité et ce pour le 2e trimestre consécutif, entrainant ainsi la zone en récession technique, où elle continue de pâtir de l’essoufflement de la consommation privée. Cette révision est en partie attribuable aux révisions des croissances irlandaise et allemande, tandis que la croissance est restée dynamique dans les pays du sud (Portugal, Italie et Espagne) qui jouissent de la solide dynamique des services et du tourisme en particulier.
Aux Etats-Unis, bien que l’activité ralentisse, la croissance tient pour l’instant toujours bon, portée par une consommation des ménages et un marché de l’emploi toujours solides.
La Chine ne fait pas exception et déçoit aussi, pénalisée par la faiblesse de la demande, tant étrangère que domestique. Les données d’activité confirment ainsi le manque de vigueur de la réouverture économique de la Chine suite à la levée des mesures sanitaires ultra-restrictives de sa politique zéro-Covid.
Des marchés boursiers qui ne savent pas sur quel pied danser
Après la forte volatilité du mois de mars où les marchés avaient connu des prises de bénéfices conséquentes, les principaux indices mondiaux ont rebondi dans le sillage de la détente du risque d’une propagation de la crise bancaire à l’international. Le rebond a par la suite totalement été effacé en mai principalement suite à un retour de craintes concernant le secteur bancaire américain, un regain de méfiance concernant une potentielle récession mondiale et des interrogations sur la dette américaine.
Seuls les indices japonais et les valeurs technologiques américaines (et par conséquent les indices américains plus larges) tirent leur épingle du jeu et sont en constante hausse sur le trimestre. Les valeurs technologiques (et même plus généralement les entreprises dites de « croissance ») ont ainsi principalement bénéficié de plusieurs facteurs porteurs comme (1) les rumeurs dans un 1er temps puis la confirmation dans un 2nd temps d’une pause dans le cycle de resserrement monétaire américain, (2) les publications de bonne facture des géants du numérique (comme les GAFAM ou Nvidia sur les semiconducteurs), (3) l’approbation par le Congrès américain du projet de loi sur le plafond de la dette et enfin (4) un engouement marqué de la part des investisseurs concernant le sujet de l’intelligence artificielle.
Les actions nippones ont quant à elles renoué avec les niveaux historiques d’il y à 30 ans, les dépassant et inscrivant ainsi des nouveaux records boursiers. Elles ont notamment été soutenues par le maintien de la politique monétaire accommodante de la BoJ, la faiblesse du yen, les bons résultats d’entreprises ainsi que les niveaux particulièrement attractifs des valorisations des actions japonaises. La bonne solidité du marché actions américain ainsi que le débouclement du sujet de la dette US ont également participé à cette belle tendance haussière. Le reste du marché reste néanmoins plus attentiste en surveillant les différentes prises de paroles des banquiers centraux, dans l’espoir (précoce ?) d’un retour à des politiques monétaires moins agressives.
Si la prudence et la sélectivité restent de mise à court terme, il nous semble que la stabilité de l’inflation à venir tant recherchée par les banques centrales pour les prochaines années, est de bon augure à long terme. Plus que jamais, la diversification d’une allocation prend tout son sens : à la fois en termes de classes d’actifs où les actions et les obligations bénéficient de tous les ingrédients pour accroitre leur décorrélation mais également au niveau géographique où l’on observe de réelles disparités selon les zones et les secteurs. A l’instar des trimestre précédents, notre vision à long terme reste inchangée et nous continuons de privilégier les sociétés de croissance et de qualité, les thématiques porteuses (eau, énergies renouvelables, infrastructures, …) ou encore les fonds de performance absolue qui devraient bénéficier des anomalies de marché. A plus court terme, nous restons prudents, du fait du manque de visibilité et du regain de volatilité et conseillons toujours de profiter de manière graduelle des opportunités.