Nous évoquions le trimestre dernier que, malgré plusieurs incertitudes (guerre russo-ukrainienne, inflation à des niveaux élevés, envolée des matières premières, de l’énergie et des denrées alimentaires, et difficultés d’approvisionnements), la situation économique mondiale était cependant soutenue par des pays développés affichant une reprise solide (consommation des ménages importante, marché du travail à des niveaux proches du plein emploi, et des banques centrales, bien que moins accommodantes, toujours en soutien à la croissance malgré leur volonté de résorber l’inflation).
Aujourd’hui, trois mois plus tard, bien que la situation présente des similarités à certains égards, elle est foncièrement altérée par un contexte inflationniste qui semble s’installer, faisant craindre un épisode récessionniste.
Les tensions géopolitiques restent présentes mais s’effacent face à l’inflation et aux resserrements des politiques monétaires des banques centrales.
Des sanctions à l’indépendance énergétique
Alors que la guerre entre la Russie et l’Ukraine persiste, les conséquences avérées et potentielles de ce conflit font de plus en plus la une et les sanctions continuent de pleuvoir aux quatre coins du globe. Alors que la Commission Européenne (CE) s’acharne à coup de mesures à l’encontre de la Russie et d’embargos, cette dernière n’est pas en reste et maintient sa position en brandissant la menace de l’arrêt en livraison de gaz. Dans ce contexte, l’un des objectifs clairement affichés de l’Union Européenne (UE) est de réduire sa dépendance au gaz russe, et ce le plus rapidement possible. La CE a ainsi proposé un plan d’investissement, REPower EU, visant à réduire de deux tiers ses approvisionnements en gaz russe d’ici la fin de l’année et ne plus acheter de gaz russe à partir de 2030. Dans ce cadre, la Commission estime qu’au total, 300 Mds€ d’investissements seront nécessaires d’ici à 2030 pour assurer l’indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie mais aussi renforcer les objectifs de neutralité carbone et d’efficacité énergétique que se sont fixés l’UE.
La production mondiale toujours sous pression
Outre les conséquences géopolitiques et énergétiques, le conflit russo-ukrainien continue d’exacerber les pressions inflationnistes apparues il y a déjà plus d’un an suite à l’action combinée de la réouverture des économies aux politiques monétaires extra-accommodantes, menées par les banques centrales. En effet, cette zone géographique participe largement aux besoins mondiaux en matières premières et denrées alimentaires. Ainsi, la poursuite du conflit continue de peser sur l’offre, tandis que la demande ne cesse de croître, en lien avec la levée des restrictions sanitaires et la consommation des ménages, toujours robuste et dynamique. Les prix poursuivent donc leur envolée. Ces différents éléments, agrémentés de la politique Zéro-Covid ultra rigide du gouvernement chinois, continuent d’entretenir les perturbations, déjà constatées le trimestre dernier, sur le secteur industriel. En outre, les tensions sur les approvisionnements persistent toujours et continuent d’affecter les délais de livraison des fournisseurs qui s’allongent encore.
Ce contexte pèse de plus en plus sur le moral des ménages à mesure que le temps passe. L’indicateur de confiance du consommateur de l’Université du Michigan a ainsi lourdement chuté en juin, accélérant le recul initié depuis déjà plusieurs mois. Cela se répercute également sur les perspectives des entreprises, qui se détériorent à court terme, où les résultats et les marges sont d’ores et déjà sous pression.
L’inflation caracole toujours, remettant en cause les actions des banques centrales
Dans cet environnement incertain, où toutes les difficultés sont étroitement liées et codépendantes, c’est l’inflation qui semble être l’une des causes principales. Malgré des banques centrales moins accommodantes, elle a continué à se diffuser, tant en Europe qu’Outre-Atlantique. Alors que nous annoncions le trimestre dernier une augmentation des prix de la consommation de 7,9% aux Etats-Unis et de 7,5% en Zone Euro, celle-ci a escaladé à, respectivement, 8,6% et 8,1% en mai. Ce constat pose ainsi la question de l’efficacité des banques centrales à juguler cette inflation galopante. Malgré leur volonté de lutter contre l’inflation, les banques centrales ont toutefois fait preuve de prudence relative afin de ne pas impacter négativement la croissance. Ainsi, la Réserve Fédérale Américaine (FED) par exemple, avait dans un premier temps relevé de 25 points de base (pb) ses taux en mars et a surpris en mai avec une nouvelle hausse, de 50 pb cette fois, une première depuis 20 ans. Pour autant, ces deux resserrements, n’ont eu que peu d’effets sur la résorption de l’inflation. Dans ce contexte, et afin de lutter efficacement contre l’accélération des prix à la consommation, Jerome Powell, le directeur de la FED a été contraint de durcir encore plus son discours et a opéré à un relèvement de ses taux de 75 pb en juin, la hausse la plus marquée depuis 1994 ! Il a par ailleurs annoncé qu’il était prêt à risquer une récession, s’il le fallait, pour contenir l’inflation. La remontée des taux de juin a, en outre, été justifiée par une croissance plus élevée du PIB réel ce trimestre, une consommation solide, un marché du travail tendu et une croissance élevée des salaires.
Vers un alignement des politiques monétaires des banques centrales
La Banque Centrale Américaine n’a pas été la seule à relever ses taux et beaucoup s’alignent vers un resserrement de leurs politiques monétaires dans l’optique de faire revenir l’inflation aux cibles souhaitées par les institutions. A ce titre, la Banque Centrale Européenne (BCE) a également annoncé, après 10 ans de baisse, une relevée des taux de l’ordre de 0,25% en juillet, vraisemblablement suivie de trois autres, dont une de 0,5% en septembre et deux de 0,25% en octobre et décembre, dans l’hypothèse où les perspectives d’inflation ne donneraient pas de signe d’accalmie.
Outre la FED et la BCE, de nombreuses autres banques centrales ont rejoint le bal du resserrement monétaire dans le but de contenir leurs inflations. Pour n’en citer que quelques-unes, on peut mentionner l’Angleterre, la Suisse, l’Australie, l’Inde ou encore la Corée du Sud. A l’inverse, la Banque Populaire de Chine et la Banque Centrale Russe ont toutes les deux procédé à plusieurs mouvements de baisses des taux dans le but de soutenir leurs économies qui pâtissent pour la 1e des restrictions sanitaires draconiennes et pour la 2nde, d’une baisse significative de son inflation et du conflit avec l’Ukraine.
Choisir entre la récession et l’inflation : le dilemme des banques centrales
Vers une récession ?
Même si l’atmosphère générale est plutôt pessimiste, les incertitudes liées à cet environnement plus que complexe sont trop fortes pour savoir avec certitude quelles en seront les issues. Beaucoup d’analystes se sont essayés, au cours des dernières semaines, à ce difficile exercice, et comme on pouvait s’y attendre, tout et son contraire a été avancé. Néanmoins, les grandes institutions, que ce soit l’OCDE, le FMI, la CE ou la BCE, toutes semblent s’accorder sur deux éléments : un ralentissement de l’économie pour cette année et les deux prochaines, ainsi qu’une inflation plus ancrée que l’année dernière. L’OCDE a ainsi révisé la croissance mondiale à la baisse à 3% pour 2022, contre 4,5% lors de sa dernière estimation en décembre 2021. Elle a également revu sa copie pour la croissance américaine, pour laquelle elle table dorénavant sur une croissance à 2,5% pour 2022 (vs 3,7%) puis 1,2% en 2023. En Zone Euro, les estimations se valent pour 2022 et oscillent entre 2,6% et 2,8%, mais divergent pour 2023 et varient selon l’institution, entre 1.6% à 2.1%.
C’est sur l’inflation que les divergences d’estimation sont les plus fortes : entre 5.7% et 7% en Zone Euro pour cette année, et entre 2.5% et 4.6% pour 2023.
En conclusion, on s’attend à un ralentissement de la croissance et une hausse de l’inflation. Entre stagflation et récession, le cœur des analystes balance. Pour autant, même si les banques centrales font preuve d’une agressivité accrue dans leur lutte contre l’inflation, elles ne sont pas si rigides et évoquent toutefois la possibilité de marquer des pauses dans leur resserrement afin d’évaluer les impacts des hausses de taux sur l’économie. L’éventualité même d’une rebaisse des taux en 2023/2024 n’est pas écartée.
Et la Bourse ?
Selon le degré d’optimisme (ou de pessimisme…) des différents analystes, les camps se divisent entre ceux qui estiment que les valorisations des actifs sont redevenues attractives et que les marchés financiers intègrent déjà les risques de ralentissement économique et ceux qui estiment que la contraction des valorisations des actions n’est pas suffisante pour compenser les risques et que les marchés ne tiennent pas suffisamment compte de la perspective de récession.
Comme on peut s’y attendre dans ce cas de figure, les marchés évoluent en marche désordonnée faisant naitre beaucoup de volatilité.
Toutefois, dans cet environnement, l’essentiel est de garder la tête froide et éviter de paniquer. Les marchés boursiers peuvent être assimilés à des animaux sauvages que l’on ne peut pas dompter et qui se révèlent souvent imprévisibles, tant sur les mouvements fortement haussiers que baissiers. Par ailleurs, si on reprend cette fois l’analogie du sport, investir en bourse c’est comme courir un marathon et non pas un sprint. Ainsi, dans une optique long-termiste, nous pensons qu’il est toujours plus intéressant de rester investi, malgré les périodes à haute volatilité, afin de s’affranchir des épisodes court-termistes et capter les tendances haussières qui se présenteront. Evidemment, tous les actifs ne sont pas à mettre dans le même panier, c’est pourquoi nous privilégions l’investissement sur des sociétés de qualité, ayant une bonne visibilité et sur les entreprises ayant un lien fort avec les thématiques séculaires, porteuses à long terme.
En conclusion de ce trimestre, ce sont principalement les discours et actions des banques centrales, ainsi que les niveaux d’inflation qui ont secoué les économies et les marchés financiers. Les banques centrales sont entrées dans une nouvelle ère : combattre l’inflation par tous les moyens. Cette dernière a effectivement fortement grimpé et il devient urgent de la résorber. Pour autant, même si les banquiers centraux durcissent le ton, il semblerait que ce soit temporaire pour réussir à contenir l’inflation pour in fine, pourquoi pas revenir par la suite à des politiques monétaires plus souples, afin de ne pas rentrer dans un cycle économique de récession. Ainsi, à court terme, il n’est pas improbable que les marchés financiers continuent à évoluer avec une très forte volatilité. Pour autant, et à l’instar du trimestre dernier, nous restons persuadés que ces mouvements de forte volatilité sont l’occasion de se replacer graduellement sur les marchés boursiers, dans une optique de long terme. Comme évoqué précédemment, nous privilégions particulièrement les sociétés de qualité, les thématiques porteuses (eau, énergies renouvelables, infrastructures, etc.) ainsi que les fonds de performance absolue, qui offrent une décorrélation aux grandes tendances, haussières comme baissières, et qui performent particulièrement bien dans les situations instables.